La grisaille aura été de courte durée et c’est à nouveau un grand et beau ciel bleu que nous découvrons au réveil. Seul un petit nuage résiste encore et coiffe le sommet de la montagne de l’autre coté du lac.
Petit déjeuner en silence, le dernier au cœur de la nature, les yeux plongés dans le lac. Y aurait-il comme de la nostalgie dans l’air ?
Nous plions le camp et quittons les lieux pour nous diriger vers la crête qui surplombe la vallée. Ce matin, les jambes sont lourdes et la fatigue semble bien installée. On dirait que mon corps a compris que la fin du trek approchait et j’ai l’impression qu’il pourrait déclarer forfait à tout moment… Je peine dans la montée qui n’est pourtant pas très difficile et je me retrouve en fin de cortège. Je jette un coup d’œil derrière moi. Le lac au bord duquel nous avons campé s’éloigne, les montagnes que nous avons explorées ces derniers jours disparaissent petit à petit…
Nous continuons la route, alternant les descentes et les montées. Face à nous, en contre-bas, un nouveau fjord se dessine.
Rapidement, nous arrivons en bord de mer. Une mer bien calme et toujours aussi claire.
Sur la côte, une maison en bois et plus loin en mer, un bateau. Les prémices de la civilisation que nous allons retrouver ce soir, plus de 10 jours après l’avoir laissée loin derrière nous. C’est étrange de voir combien ces constructions si familières d’habitude peuvent se transformer en intrus dans ces lieux.
Nous nous arrêtons ici pour déjeuner. Normalement, nous aurions dû continuer un peu pour manger au bord d’un lac. Mais étant donné l’état de fatigue générale, la pause s’impose maintenant.
Ce midi, nous mangeons les restes de nourriture : crackers, fromage, gâteaux, fruits secs, chocolat… Il reste pas mal de choses au final et ce soir, nous récupérerons les dernières vivres pour le dîner à Kulusuk.
Nous terminons par une bonne sieste au soleil… Profiter au maximum de ces derniers instants de tranquillité totale…
Un coup de sifflet nous tire de nos rêves et de notre torpeur. Il est temps de reprendre la route. Dans 3h, nous devons être à Tiniteqilaaq pour prendre le bateau pour Kulusuk. Et mine de rien, il reste encore un peu de distance à parcourir. Nous chargeons les sacs et repartons.
Cela commence par une nouvelle montée, un peu dur en pleine digestion… Mais en haut, la vue sur notre fjord est plutôt sympathique.
Et la suite n’est pas en reste… Nous longeons d’abord plusieurs petits lacs…
… avant de monter dans un pierrier pour découvrir un grand lac, celui au bord duquel nous aurions dû déjeuner. Son eau est d’une couleur et d’une limpidité incroyable. C’est à couper le souffle et je regrette un peu de ne pas avoir trouvé la force nécessaire pour avancer jusqu’ici ce midi.
Le lac murmure quelque chose à mon oreille. Il m’appelle. Mais le temps nous manque… 5 minutes nous sont accordées, pas plus. Les gens commencent à plonger. Je cherche ma serviette de toilette, elle est tout au fond du sac. Je n’ai pas le temps de tout retourner. Allez, hop ! Je me déshabille et je rentre dans l’eau. Elle est fraîche mais ça fait un bien fou ! Quel bonheur pour ce dernier jour ! Je crois que c’est la plus belle baignade du voyage ! Cependant la vigilance est toujours de mise, les pierres qui jonchent le fond étant, ma foi, bien glissantes. Et je préférerais ne pas terminer comme j’ai commencé, par un gadin dans les rochers.
Je ressors et me rhabille directement, sans me sécher : avec ce soleil, je ne devrais pas rester mouillée bien longtemps ! Je repars avec un grand sourire aux lèvres et une pèche d’enfer : cette petite baignade m’a revigorée ! Un dernier clin d’œil à notre grand lac et son petit frère juste derrière…
Dernière ligne droite dans un décor on ne peut plus minéral. Nous enchaînons les dalles et les pierriers, déambulons entre les rochers. Dans ce dédale, il ne faut pas traîner, au risque de perdre de vue le reste du groupe et de partir dans la mauvaise direction. Ce qui va m’arriver à un moment, alors que je suis un peu derrière avec deux autres camarades. Heureusement, nous revenons vite dans le droit chemin.
Nous arrivons en haut d’une butte. Devant nous, la côte, découpée, la mer, scintillante sous les rayons du soleil, et les icebergs qui font leur grand retour. Et toujours le ciel bleu, jusqu’à la fin. Dernière image de carte postale.
Et en y regardant de plus près, nichées dans les rochers, nous apercevons les petites maisons colorées du village de Tiniteqilaaq.
Nous faisons une courte pause et commençons la descente vers le village. Nous sommes un peu en retard, il faut accélérer le pas. Nous croisons un groupe de touristes italiens et leur guide qui font un tour sur la côte. Voilà qui nous reconnecte direct à la réalité et c’est un peu perturbant pour moi. J’étais tellement loin de tout ça ces derniers jours et dans une aventure tellement différente !
Nous sommes aux portes de Tiniteqilaaq. Dernière accélération… Celle de trop pour certains. Les pieds s’emmêlent dans les pierres et c’est la chute dans la dernière ligne droite. Nous revenons sur nos pas pour constater les dégâts : plus de peur que de mal mais quand même une pommette meurtrie et un beau cocard !
Remis de nos émotions, nous entrons dans le village. Je le trouve bien « taudiesque » et triste, comme beaucoup de villages Groenlandais. Les maisons sont colorées, certes, mais pas souvent en bon état et surtout, il y a toujours autant de détritus un peu partout, au fond des jardins ou au détour d’une rue. J’ai du mal à leur trouver du charme, ils sont en telle contradiction avec les paysages qui les entourent !
Nous voici au port, le bateau nous attend et nous n’avons pas le temps de faire un tour dans le village. Nous nous changeons rapidement. J’abandonne mon pantacourt pour remettre un pantalon et le sur-pantalon, j’enfile une polaire et je garde mon bonnet et mes gants à portée de main. En mer, la température ne sera pas la même.
Nous chargeons ensuite les sacs dans le bateau et embarquons. Je choisis une place à l’arrière, dehors, pour profiter jusqu’au dernier moment des montagnes.
Le bateau démarre, Tiniteqilaaq s’éloigne.
Nous remontons le fjord, les montagnes s’éloignent à leur tour. Petit pincement au cœur quand nous en sortons pour arriver en pleine mer.
Tout à coup, un jet s’élève au-dessus de la mer. Une baleine ? Nous scrutons la mer mais nous n’en verrons pas plus.
Nous arrivons à Kulusuk.
Nous accostons et déchargeons les sacs. Nous récupérons la nourriture pour notre repas de ce soir et rendons le fusil qui ne nous sera plus d’aucune utilité ici.
Nous remontons la route pour aller camper un peu à l’écart de la ville, près de l’aéroport. L’endroit a moins de charme que les autres jours mais nous pouvons encore profiter de quelques montagnes pour ce soir.
Mais surtout, un véritable festin nous attend. Terminé les plats lyophilisés, à nous les coquillettes ! Une petite sauce aux champignons et un peu de gruyère rapé donnent un air de fête à tout ça. C’est un régal et en redemandons. Nous ouvrons un second paquet, il sera lui aussi entièrement mangé. Si simple mais si bon !
Ce soir, pas de veille. Tout le monde se couche tôt. Fatigués ou tristes de quitter le Groenland demain, rien n’est moins sûr. La tête pleine d’images, ça, c’est sûr.